Du 13 au 17 juillet 2022, à Grenoble, la Coordination féministe s’est réunie pour la deuxième édition des rencontres nationales féministes. Nous étions 71 collectifs, associations, assemblées, groupes féministes venus de toute la France hexagonale. Ces quatre jours de réflexion politique ont été un franc succès. Des ateliers thématiques et de nombreuses discussions collectives nous ont permis d’élaborer notre projet politique commun. Nos perspectives s’articulent autour de six axes centraux :
- des conditions de vie dignes pour toustes
- une organisation sociale solidaire par la réappropriation des services publics
- la libre disposition de nos corps
- la justice environnementale et le respect du vivant
- la lutte contre les violences sexistes et sexuelles
- l’antiracisme
Nos axes sont le reflet du monde dans lequel nous voulons vivre. Pour y arriver, nous devons transformer radicalement la société. Le contexte de montée des extrêmes droites et des attaques néolibérales contre nos droits menace directement nos vies. Nous ne voulons pas nous y résigner. C’est grâce à la grève générale féministe que nous construirons le rapport de force nécessaire pour imposer un monde féministe et juste. Ces axes sont volontairement larges et basés sur ce qui nous rassemble. Ils doivent servir de mots d’ordre appropriables par chacune et chacun en vue du 8 mars 2023.
Nous devons nous en saisir partout, tout le temps, dans nos quartiers, nos foyers, nos lieux d’études et de travail, etc. Chaque personne et chaque organisation peut s’en saisir avec les perspectives de ses propres luttes, qu’elle mène des luttes antivalidistes, syndicales, pour les droits des personnes LGBTQIA+ ou autres. Toute thématique peut et doit être approfondie, qu’elle fasse partie d’un axe ou qu’elle s’inscrive dans tous. En ouvrant la discussion, nous nous mobiliserons pour organiser des actions concrètes. C’est par la grève générale féministe que nous sortirons de l’isolement et du fatalisme !
AXE 1 : DES CONDITIONS DE VIE DIGNE POUR TOUSTES
Aujourd’hui la crise que l’on vit révèle que la société ne permet pas de répondre aux besoins du plus grand nombre. Nous vivons dans une société qui produit des richesses colossales, et pourtant les inégalités perdurent et s’accroissent. Les rapports d’exploitation et d’oppression nous déshumanisent. Chaque discrimination est une atteinte à la dignité. En tant que féministes, nous revendiquons le droit de toutes les personnes à une vie digne.
Par “vie digne”, nous entendons l’indépendance économique qui est la condition première pour assurer ses besoins fondamentaux, pour que chacune et chacun puisse choisir comment vivre sa vie.
Par “vie digne”, nous entendons une vie joyeuse, libre de violences. Une vie soutenue par des liens de solidarité, une vie qui nous laisse le temps de prendre soin de nous et des autres, qui nous laisse jouir de notre temps en dehors des rapports d’exploitation et d’oppression.
Nous revendiquons, pour toustes, des revenus qui permettent de vivre et pas seulement de survivre. À travail égal, salaire égal. Nous exigeons l’accès facilité, gratuit et sans conditions aux soins, à l’éducation, à la mobilité et au logement.
Actuellement, l’organisation sociale du travail repose sur une division sexiste, raciste et validiste, pour répondre à l’impératif de toujours plus de profits. Nous voulons remettre les choses dans le bon sens : construire une société qui valorise et met au centre les activités socialement utiles, plutôt que celles qui rapportent de l’argent au détriment des populations et de l’environnement.
AXE 2 : UNE ORGANISATION SOCIALE SOLIDAIRE PAR LA RÉAPPROPRIATION DES SERVICES PUBLICS
Nous partons du constat actuel d’une destruction méthodique et orchestrée des services publics par les différents gouvernements libéraux, qui s’inscrivent déjà et de plus en plus dans une logique de profit et de croissance.
C’est alors sur les femmes et les minorités de genre et raciales, les plus précaires, que repose individuellement toute la charge de soin aux autres, qui est assignée au sein des foyers ou des emplois sous-payés. Ce travail domestique, d’éducation et de soin, doit être partagé et valorisé.
C’est aux services publics et non pas à des entreprises privées d’assurer l’accès aux ressources essentielles. La décision de nationaliser tel ou tel secteur ne doit pas être prise en fonction des intérêts privés et de la sauvegarde des profits. L’argent public ne doit pas financer les entreprises en faillite. Il est urgent de se ré-accaparer et de socialiser les services publics essentiels au bénéfice de l’intérêt général.
C’est à la population de définir et de contrôler collectivement les services publics. Il faut développer et repenser les services essentiels (santé, transports, éducation, énergie, logement, etc.) plutôt que les secteurs répressifs ou non essentiels (police, armée, prison, centres de rétention administratifs, etc.).
Pour nous, les services publics doivent être des services humains adaptés aux usagères et usagers, qui répondent aux besoins essentiels de manière inclusive, inconditionnelle et non discriminatoire.
AXE 3 : LE DROIT À DISPOSER DE SON CORPS
Le patriarcat exerce sa domination en nous dépossédant de nos corps, il se les approprie, les normalise, les brutalise et cherche à les contrôler.
Nos corps nous appartiennent, le droit d’en disposer est fondamental et inaliénable.
Cela passe par la liberté de décider car nous sommes des individus autonomes. Que nous soyons valides ou non, personne ne devrait avoir le droit de nous enfermer, nous psychiatriser, nous médicaliser ou choisir à notre place.
Nous refusons les discriminations qui hierarchisent les vies dans l’accès à la santé : des refus et entraves aux soins (pour les travailleureuses du sexe ou les personnes migrantes) aux soins imposés (épisiotomie sans nécessité ni consentement, contraception forcée des personnes handicapées), en passant par le manque de recherche sur la santé des minorités (maladies touchant essentiellement les femmes, études sur la santé des personnes trans) et la création d’outils diagnostics adaptés aux seuls hommes cisgenres.
Ainsi, nous affirmons le droit à l’autodétermination et exigeons une totale liberté sur les droits reproductifs, leur gratuité et leur accessibilité : contraception, IVG, PMA, transition, interdiction des mutilations sur les enfants intersexes et l’arrêt de toutes violences médicales.
Nos corps sont utilisés comme force de travail, parfois dans leur dimension sexuelle, et ce travail doit être reconnu comme tel et exercé dans de bonnes conditions.
AXE 4 : JUSTICE ENVIRONNEMENTALE ET RESPECT DU VIVANT
Nous affirmons que la justice environnementale fait partie intégrante de nos luttes car sans planète vivable, il n’y a pas d’autres revendications qui tiennent.
Le système capitaliste repose sur le pillage, le monopole et le contrôle des ressources premières, notamment par le processus historique de colonisation et le néocolonialisme qui perdure.
C’est pourquoi nous voulons inverser le rapport de force en sortant d’une logique de la responsabilité individuelle pour dénoncer l’exploitation systémique des gouvernements capitalistes et des multinationales.
Les premières victimes de la destruction de l’environnement sont les populations du Sud global – dont une partie est forcée à la migration – et les personnes marginalisées, opprimées, exploitées et précarisées. Ainsi la justice environnementale est aussi une justice sociale.
La crise écologique ne sera pas résolue par une course au progrès technologique surfinancée mais par la protection, la réappropriation et la mise en commun des ressources (eau, alimentation, énergie…). Nous exigeons notamment la fin de l’extractivisme, de l’hyperproduction, de la surexploitation des terres, de l’agro-business et de l’élevage intensif.
AXE 5 : LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES
Nous condamnons toute forme de violences, qu’elles soient psychologiques, verbales, physiques, sexuelles, administratives, économiques, médicales, judiciaires. Un continuum existe entre toutes ces violences patriarcales.
Nous affirmons que la précarité économique aggrave les violences déjà subies car elle alimente un manque d’autonomie. Cette autonomie est pourtant nécessaire pour se protéger des situations de violences, que ces dernières aient lieu dans le foyer, au travail ou dans l’espace public.
Nous exigeons les moyens et les structures nécessaires pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles systémiques au sein de la sphère familiale. Ces violences atteignent aussi les enfants, les personnes LGBTQIA+ , et touchent tout particulièrement les femmes et minorités de genre handicapées, qui y sont beaucoup plus exposées, au sein des familles, des couples, des institutions.
Contre ces violences, nous revendiquons un budget et des mesures à la hauteur des besoins, réclamées haut et fort depuis de nombreuses années par les associations féministes.
Nous ne nous satisfaisons pas d’un arsenal répressif qui se contente de punir. Chaque violence commise est une violence de trop. Nous exigeons des moyens pour une politique féministe massive de formation, d’éducation, de prévention sur les violences, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie.
AXE 6 : L’ANTIRACISME
Les luttes féministes sont et seront toujours profondément antiracistes, nous affirmons la nécessaire destruction de l’État raciste.
Nous dénonçons l’instrumentalisation du féminisme, aussi bien par le gouvernement que par les extrêmes droites, à des fins racistes et impérialistes sous couvert d’universalisme, de défense de la laïcité ou de lutte antiterroriste. Nous dénonçons l’acharnement des gouvernements successifs contre les droits des femmes portant le foulard ainsi que toute forme de discrimination liée à la race et/ou à la religion, réelle ou supposée.
La France réprime les personnes migrantes racisées, ne respecte pas leurs droits fondamentaux, les traque, les pousse à la clandestinité et les exploite. Aux violences physiques et sexuelles subies pendant les parcours de migration s’ajoute la violence d’État dans les pays d’accueil.
Nous luttons pour la libre circulation de toustes et des conditions d’accueil dignes pour les personnes exilées. Nous exigeons des politiques migratoires sensibles à l’âge et au genre, avec une prise en charge des besoins spécifiques des femmes et des personnes LGBTQIA+.
Nous nous opposons à la diffusion des idées complotistes, intrinsèquement antisémites, et qui ont, dans le contexte de la pandémie, accentué très fortement l’asiaphobie, l’antisémitisme et l’islamophobie. La diffusion de ces idées engendre une augmentation des violences racistes et elles empêchent la construction de mouvements sociaux émancipateurs.
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La Coordination féministe appelle aux mobilisations sociales de septembre 2022. En particulier, nous appelons à organiser ou à rejoindre les manifestations qui auront lieu à l’occasion de la journée internationale pour le droit à l’avortement le 28 septembre, en étendant le mot d’ordre à l’ensemble des droits reproductifs et à l’autodétermination : IVG, PMA, transitions, fin des mutilations sur les enfants intersexes, des stérilisations imposées aux personnes handicapées, des thérapies de conversion…
Nous appelons à rejoindre la mobilisation sociale contre la vie chère, l’inflation et pour la hausse des salaires, en participant à la journée de grève du 29 septembre. Nous appelons à organiser dans les manifestations des cortèges féministes, en y articulant nos axes revendicatifs.
Ces mobilisations sont des points d’appui pour populariser et construire la grève féministe du 8 mars 2023.
Pour construire cette grève nous appelons à constituer des cadres d’auto-organisation larges et ouverts, dépassant les simples cadres inter-organisations pour permettre à toutes les femmes et minorités de genre de se mobiliser, partout où cela est possible, en fonction des réalités locales, ou à rejoindre les assemblées générales féministes déjà existantes. Nous appelons à ce que ces cadres garantissent la meilleure accessibilité possible de toustes, notamment des personnes handicapées ou encore des parents via la mise en place de garderies solidaires par exemple, pour permettre une mobilisation effective.
Nous proposons que dans un maximum de villes et de territoires, la date du 8 octobre serve de lancement à ces cadres. La Coordination se tient à disposition de toute personne qui chercherait des ressources et du soutien pour impulser ces dynamiques.
Enfin, nous proposons de dérouler nos 6 axes programmatiques dans les mois précédents le 8 mars afin de les populariser. Localement, cela pourra se traduire par l’organisation de manifestations, d’actions, de discussions pour approfondir nos revendications, etc. Ce calendrier reste évolutif en fonction de l’actualité politique et sociale, nationale et/ou locale.
En septembre, nous nous axerons sur les droits reproductifs, en octobre sur la justice environnementale et le respect du vivant, en novembre sur les violences sexistes et sexuelles, en décembre sur l’antiracisme, en janvier sur la vie digne, en février sur les services publics.
Tout cela pour aboutir à la grève féministe le 8 mars !