Aujourd’hui, cela fait 98 jours que la journaliste et militante turque Zehra Kurtay est en grève de la faim contre la révocation de son statut de réfugiée politique.
En plein cœur de Paris, dans le quartier de Strasbourg-Saint-Denis, une tente de la résistance est installée jour et nuit depuis le 3 juillet, date à laquelle la militante antifasciste et révolutionnaire a entamé sa grève de la faim, pour visibiliser son combat contre l’État français.
Réfugiée en France depuis 2007, Zehra Kurtay fait depuis mai dernier l’objet d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), et ce malgré les risques encourus par la journaliste et militante si elle venait à regagner son pays d’origine, la Turquie. Elle y est considérée comme « terroriste » et sa tête est mise à prix pour 2 millions de lires turques (environ 44 000 euros) par le gouvernement fasciste turc.
C’est après des études de français, et en parallèle de son engagement militant, que Zehra Kurtay devient journaliste professionnelle en 1994. Cette année marque également sa première détention. Elle sera par la suite arrêtée et emprisonnée à plusieurs reprises pour son combat anti-impérialiste et son activité de rédactrice au sein de journaux révolutionnaires, et subira la torture, ce qui la rendra handicapée à vie.
En 2000, Zehra Kurtay est incarcérée à la prison d’Ümraniye. Les prisonnier·es politiques turc·ques sont jusqu’alors enfermé·es ensemble dans de grands dortoirs, permettant ainsi le développement de liens et l’organisation entre prisonnier·es. En vue de briser tout mouvement de lutte au cœur de ces prisons, le gouvernement turc souhaite inaugurer des prisons de « type F » qui transformeraient ces dortoirs en petites cellules pouvant accueillir 3 détenu·es, isolant ainsi les militant·es. En signe de protestation, Zehra Kurtay et ses camarades entament alors une grève de la faim qui dure 181 jours, au terme de laquelle elle est nourrie de force – une procédure condamnée par le droit international, et qui lui occasionnera de lourdes séquelles physiologiques et neurologiques.
Libérée au vu de son état de santé dégradé, puis finalement déclarée apte à retourner en prison par le régime fasciste turc, Zehra Kurtay fuit vers la France.
Son calvaire ne s’arrête cependant pas à la frontière : en 2008, 5 mois après l’obtention de sa carte de séjour, Zehra Kurtay est arrêtée en France sur demande du régime fasciste turc.
« J’ai aussi été arrêtée ici en France et je n’ai vu aucune différence avec mon arrestation en Turquie. Quand vous êtes militant anti-impérialiste, antifasciste, marxiste-léniniste, vous pouvez vous faire arrêter dans n’importe quel pays du monde. »
Elle fait alors l’objet d’une enquête pour sa fréquentation d’un centre culturel suspecté de liens avec des groupes révolutionnaires considérés comme terroristes par la Turquie et l’Union européenne, et est finalement condamnée en 2012 à 5 ans de prison pour « association de malfaiteurs en lien avec des entreprises terroristes».
À sa sortie de prison en 2016, l’acharnement judiciaire continue : en raison des lois antiterroristes promulguées en 2015, Zehra Kurtay se voit forcée de pointer au commissariat tous les 3 mois, et ce, pendant 10 ans.
Ces lois liberticides marquent en effet un tournant dans la répression des luttes pour les droits et les libertés. Elles ouvrent grand la porte au fichage méthodique des militant·es d’extrême gauche, souvent arbitrairement désigné·es comme « terroristes ».
La France est d’ailleurs épinglée par Amnesty International dans son rapport de 2017 pour sa restriction des droits fondamentaux dans le cadre des mesures prises pour lutter contre le terrorisme, ainsi que pour son manque de protection des réfugié·es et des migrant·es présent·es sur le sol français : les lois antiterroristes de 2015 stipulent en effet que les prisonnier·es détenant la double-nationalité peuvent se voir retirer la nationalité française, et les réfugié·es leur titre de séjour annulé.
Et Zehra Kurtay n’y manque pas : son statut de réfugiée politique sera révoqué à son insu par l’État français en 2018.
Zehra Kurtay mène alors un double combat : la résistance politique et la lutte juridique. Elle tient une première table d’info à Strasbourg-Saint-Denis pendant 2 ans pour dénoncer l’impérialisme français, partager son combat et recueillir des signatures pour appuyer sa demande de renouvellement de carte de séjour.
Suite à cette mobilisation, l’État français lui accorde un titre de séjour « ordinaire » et non politique : très précaire, c’est un titre provisoire à renouveler tous les 3 mois. Mais au début du mois de mai 2025, Zehra Kurtay reçoit son dernier récépissé en date et, 5 jours plus tard, son titre de séjour est annulé par la préfecture du Val-de-Marne (94) : résultat direct des multiples circulaires de Darmanin, faisant le jeu de l’extrême droite.
C’est ainsi que fin mai, lorsqu’elle se rend à un rendez-vous administratif, Zehra Kurtay est placée en garde à vue et notifiée de l’annulation de son titre de séjour, d’une Obligation de Quitter le Territoire Français et de son renvoi imminent vers la Turquie.
Dans la foulée, elle se voit transférée au Centre de Rétention Administrative (CRA) d’Oissel, près de Rouen, où elle reste 6 jours.
« C’est un lieu où la dignité humaine est bafouée, piétinée, écrasée sous les bottes de la police. »
Zehra Kurtay décrit un centre sous le contrôle total de la police, où stylos, papiers et livres sont interdits, et où les communications téléphoniques sont extrêmement limitées. Elle témoigne de l’isolement atroce, des humiliations constantes et de la torture psychologique lourde infligées aux immigré·es entre les murs du CRA.
Des rassemblements sont organisés devant les consulats de France par ses soutiens dans toute l’Europe, et, grâce à cette pression, Zehra Kurtay est finalement libérée au bout de 6 jours. Elle est cependant placée sous contrôle judiciaire lourd et doit désormais pointer au commissariat tous les jours à 10h, et a l’interdiction de changer d’adresse ainsi que de quitter le département du Val-de-Marne (94). Elle se voit donc dans l’impossibilité de rencontrer son avocat, son cabinet étant situé dans le 10ème arrondissement de Paris, et même d’assister à son propre procès à Melun (77) en juin 2025 pour contester son extradition vers la Turquie.
Selon la Convention de Genève de 1951, Zehra Kurtay doit rester en France, et face aux nombreux vices de procédure et erreurs techniques relevés, son extradition vers la Turquie est annulée. Mais reste cependant toujours la menace d’une extradition vers un pays tiers, qui pourrait ensuite la livrer au régime fasciste turc.
À travers le combat de Zehra Kurtay, c’est toute la politique sécuritaire et migratoire française qui est mise en lumière. Son cas n’est pas isolé, mais plutôt symptomatique des abus répétés de l’État et de l’administration française à l’encontre des réfugié·es, migrant·es, sans-papiers.
« C’est en France qu’a été rédigée la Déclaration des Droits de l’Homme, mais nous le savons aussi, la France est l’un des pays les plus condamnés par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, tout comme la Turquie. D’un côté il y a le fascisme, de l’autre l’impérialisme. »
Nous voulons affirmer notre solidarité envers notre camarade Zehra Kurtay, dont nous soutenons les revendications, et nous réclamons la régularisation de sa situation ainsi que celle de tou·tes nos camarades, qu’iels soient victimes de persécutions politiques, sexuelles, religieuses, ou simplement à la recherche d’une vie meilleure.
100 jours de faim, 100 jours de lutte !
« Le bonheur et la joie que me procurent la résistance et la lutte me permettent de tenir et de rester forte. Si je suis heureuse c’est parce que je sais pourquoi je lutte : je résiste contre l’impérialisme français, je mène un combat pour la justice. »
Samedi 11 octobre marquera le 100ème jour de grève de la faim de Zehra Kurtay pour son droit à l’asile politique. Nous appelons donc à rejoindre massivement le rassemblement de soutien qui aura lieu à la Porte Saint-Denis à 18h, car une attaque contre l’un·e d’entre nous est une attaque contre nous tou·tes.
Féministes et antifascistes, tant qu’il le faudra !