Alenxandrie, Alexandra
Si je vous dis :
« J’ai vu une fille qui lisait sur un banc. Un mec qu’elle ne connaît pas s’assied à côté d’elle et passe ses bras autour d’elle pour la draguer. Elle lève les yeux aux ciel, agacée. Il appelle alors ses quatre potes en renfort. Les cinq mecs sont autour d’elle, l’empêchent de lire. L’un lui arrache son livre des mains ; le premier lui touche alors le visage pour l’obliger à tourner la tête vers lui pendant que les autres se passent son livre de main en main. Ils finissent par partir. Sans lui rendre son livre. »
Alors vous trouvez ça violent ? Vous vous demandez si je suis allée parler à la fille pour l’aider à se remettre de son agression ? Ben non, je vous racontais juste un extrait du dernier clip de M Pokora, Alexandrie, Alexandra [1] (plus de 4 millions de vues en quelques mois) ! Le chanteur se targue en plus d’avoir réalisé son clip lui-même !
Alors il y a l’objectivisation des femmes, ça on est habitué. Le « scénario » du clip ne repose d’ailleurs que sur ça – des mecs qui signifient à toutes les nanas qu’ils croisent qu’elles les font bander. On est habitué, mais on s’insurge quand même, et on produit des analyses pour démontrer que ça entretient la culture du viol, et on essaye d’être pédagogue pour être bien comprises. Il y a aussi le racisme du clip dont on pourrait parler : parce que les « claudettes » qui servaient de décoration dans l’original de Claude François ont été remplacées par quatre mecs noirs, qui servent tout autant de décoration. Tout ces éléments auraient suffi à eux seuls à motiver un article dénonçant ce clip. Mais une agression en règle ? Vraiment ? Il faudrait expliquer le problème ?
Parce que combien de gens ont relu ce script ? Combien ont participé à son tournage ? Son montage ? Combien de directeurs de chaînes l’ont visionné ? Et à aucun moment à aucun échelon quelqu’un n’a mis un veto ? Dans quel monde vivent ces gens ? Dans quel monde on trouve un homme sexy, qui vient nous agresser en bande ? Dans la vraie vie, sans la musique et sans les caméras, on tremble de peur dans une telle situation. Notons au passage qu’ils lui volent son livre, enfin qu’ils le lui confisquent, parce que c’est plutôt de ça dont il s’agit, d’une punition. Dans notre société, le vol est quand même une chose violemment condamnée moralement non ? Que s’est-il passé pour que ça devienne sexy ?
En tout cas message est clair pour les femmes : l’espace public de vous appartient pas. Vous ne pouvez même pas y lire. On est plus fort que vous.
Récidive
D’ailleurs, en 2012, M Pokora sévissait déjà avec Juste un instant [2]. Le clip est aujourd’hui à plus de 15 millions de vues.
Et on nous y apprend que quand une fille sourit à un homme dans la rue, cela lui donne le droit de la poursuivre, de la toucher, et même si elle a l’air après de faire la gueule. Après tout elle a souri au début non ? Mais comment savoir au fond, quand on est un homme, si on lui plaît malgré ses refus exprimés ? Eh bien, nous explique le clip, si elle monte dans un taxi pour s’enfuir, c’est bingo, on est invité à monter à côté d’elle. Après le tour est joué, il n’y a plus qu’à la poursuivre au supermarché où elle fait ses courses.
Parce qu’au fond, une femme qui dit non dans la rue, c’est très souvent une femme qui en fait est tombée amoureuse de nous mais attend de voir à quoi on est près pour céder. Et puis après tout elle n’avait qu’à pas sourire…
Le clip se termine sur une image très romantique, et nous voilà attendris par le couple heureux, on verserait presque sa petite larme. Alors s’il faut en passer par une agression pour en arriver à la romance, est-ce que le jeu n’en vaut pas la chandelle ?
Haha ?
Alors là on rigole mais c’est grave, et c’est même très grave. D’autant qu’à notre connaissance, ces clips sont passés comme des lettres à la poste. Pas la moindre offuscation.
Alors que si l’on parvient certes à obtenir des campagnes de sensibilisation sur le harcèlement de rue, mais qu’en parallèle sont diffusées à échelles de masse des images d’agressions « sexy », on n’avance pas vraiment.
Aux jeunes fanes de Pokora, on dit : ne dites jamais oui, ça ne se fait pas. Ce qui plaît aux hommes, c’est une femme sexy qui fait semblant de dire non et qui reste passive.
Et Messieurs : insistez. Poursuivez-là au besoin, c’est ça qu’elle veut. La toucher sans son consentement, c’est la convaincre.
Et toutes ces images de romances nées dans la violence rendent inaudibles les discours sur le consentement. Si le harcèlement c’est romantique, alors le consentement devient vraiment un tue-l’amour.
Oui, il nous faut réapprendre l’amour sans la violence. Il nous faut créer de nouveaux mythes, d’où les grandes amours naîtraient dans l’égalité, le respect mutuel et… le consentement !
[1] https://www.youtube.com/watch?v=q2_9gcvSSmk
[2] https://www.youtube.com/watch?v=IJ-uPxVYsbA