Pourquoi nous ne pouvons pas nous satisfaire pleinement du recours à la justice pour le traitement des affaires de violences sexistes et LGBTIQ+phobes

Hier, le jugement du tribunal correctionnel de Paris a donné raison à Julia Boyer, une femme trans qui avait subi une agression place de la République le 31 mars. L’agresseur a été condamné à 6 mois ferme et 3500€ d’amende. Nous exprimons à Julia toute notre solidarité, et nous nous réjouissons de cette décision qui témoigne de la reconnaissance des violences auxquelles elle a dû faire face. Néanmoins, nous ne sommes pas dupes de tout ce que représente cette condamnation.


Qui sont les transphobes ?

Lors de la médiatisation de cette affaire, l’accent a été mis sur le fait que les incriminés étaient des hommes des classes populaires, racisés et sans-papiers. Comme s’ils étaient plus transphobes et misogynes que les blancs bourgeois « bien de chez nous » ! L’avocat de Julia a déclaré aux journalistes « Ce procès est celui de la transphobie de la société française ». Pourtant nous n’avons pas vu, sur le banc des accusés, les vrais responsables des conditions de vie très dures des personnes trans !


  • Nous n’avons pas vu les équipes médicales de la SoFECT, spécialistes autoproclamés des questions trans, qui décident à notre place la façon dont on doit vivre en tant que personne trans.
  • Nous n’avons pas vu les députés et sénateurs qui font obstruction aux projets de loi pour faciliter les démarches de changement de prénom ou d’état civil. Nous n’avons pas vu ceux qui refusent le remboursement à 100% des parcours de transitions.
  • Nous n’avons pas vu les Hollande, Valls et Macron, qui a grand renfort de Loi travail et d’ordonnances, ont facilité les licenciements discriminatoires. Nous n’avons pas vu les patrons qui nous harcèlent, qui refusent de nous embaucher ou qui nous virent après un coming-out !
Bien sûr, des victoires comme celle d’aujourd’hui nous apportent du courage dans la lutte ! Merci à Julia Boyer d’avoir été courageuse, d’avoir rendu publique son agression, d’avoir affronté les plateaux tv et la justice ! Nous sommes solidaires de toutes celles et ceux qui choisissent de porter plainte en cas d’agression, et nous rêvons d’avoir des organisations féministes et LGBTI si fortes qu’on pourrait accompagner par milliers toutes les personnes qui font ce choix : à chaque plainte, des milliers devant le commissariat ! 


À chaque procès, des milliers devant le tribunal !  À chaque famille qui met à la rue un.e jeune trans, des milliers devant la maison ! À chaque demande de changement d’état civil , des milliers devant la mairie ! À chaque fois, à chaque moment, ne rien laisser passer, ne rien accepter, faire peur à ceux qui ont le pouvoir et éliminer partout la transphobie de nos vies.

La lutte contre les violences et le système judiciaire de l’État capitaliste

Mais si réussir à obtenir des victoires sur le plan judiciaire et légal est essentiel, malheureusement dans le cadre d’une société transphobe, sexiste, raciste et de classe, ces victoires seront toujours sur le fond insuffisantes et fragiles, comme on le voit par exemple aux USA avec la remise en cause de l’IVG. Nous ne perdons pas de vue que le problème se situe à une échelle bien plus large qu’un cas particulier, et que les quelques condamnations d’agresseurs sexistes et LGBTIQ+phobes ne sont pas la preuve d’une remise en question de ce système patriarcal.


Dans une société qui est transphobe, mais aussi raciste et capitaliste, ceux qui seront massivement condamnés, ce sont les pauvres, les racisés, les plus exploités. Tout comme avec loi de pénalisation du harcèlement de rue. Quid du harcèlement au boulot par ton supérieur ? Ceux qui échapperont aux mailles du filet sont ceux qui nous font le plus de mal : tous ces vieux mecs blancs riches au pouvoir. Les DSK, les Baupin, les Darmanin. Eux ne seront jamais inquiétés, sauf une fois de temps en temps, pour l’exemple, pour calmer les gens (comme avec Weinstein).


L’impunité d’un Darmanin, ce n’est pas seulement de ne pas aller en prison. C’est de conserver sa place au gouvernement sans être inquiété pour poursuivre sa politique destructrice. Les violences existent dans toutes les classes sociales, et il faut les combattre avec la même férocité chez les plus puissants ! La lutte contre les violences sexistes et LGBTIQ+ phobes, c’est aussi la lutte contre cette impunité là ! Nous gagnerons quand les Baupin et Darmanin, reconnus coupables, ne pourrons même plus sortir de chez eux sans se faire insulter et cracher dessus ! Qu’ils soient enfermés ou pas, quelle importance ? Les prisons sont pleines et pourtant des violeurs continuent de violer et des fraudeurs fiscaux continuent de voler. L’impunité, ce n’est pas juste par rapport à la condamnation ou l’enfermement, c’est aussi l’impunité sociale : si un viol ou une agression peut leur coûter leur prestige, si leur culpabilité signifie l’anéantissement de leur vie sociale et professionnelle, nul doute qu’ils ne se le permettront plus !


Réformer la justice de classe ne suffit pas. Cela ne revient qu’à renforcer l’arsenal répressif de l’État, assorti d’une sympathique caution féministe.


La lutte punitive est pleine de limites : punir arrivera toujours trop tard, quand le mal sera fait. Nous sommes pour une formation sur les questions de genre dès la petite enfance jusqu’à la maison de retraite !

Des moyens pour les assos trans, des centres d’accueil partout pour les personnes trans, liberté et gratuité des parcours de transition ! Partout, nous laisser libre de choisir, de vivre , de nous habiller, de nous maquiller, de nous genrer comme on le souhaite, d’aimer qui on veut et de nous donner les conditions pour qu’on puisse ne serait-ce que nous aimer nous-mêmes. 

La lutte contre les violences est une lutte politique, qui doit être menée dans la rue et dirigée par les personnes en première ligne : les personnes trans, les femmes et minorité de genre, travailleur·ses, précaires, chômeur·ses, étudiant·e·s, retraité·e·s, migrant·e·s, avec ou sans papiers. Nous soutiendrons toujours celles et ceux qui, pour des raisons qui leur appartiennent, décident de porter plainte et de demander justice et réparation. Mais nous n’aurons jamais l’illusion que le système nous protègera ! Organisons-nous !   


Solidarité féministe avec Julia et toutes les victimes d’agressions transmisogynes et transphobes !
Féministes, antiracistes et révolutionnaires, tant qu’il le faudra !

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