Le 8 mars 2025, la manifestation féministe parisienne a, d’un même mouvement, repoussé l’extrême droite. Nous vous proposons le récit des événements tels que nous les avons vécus, depuis les mois de préparation jusqu’aux horizons que nous voyons maintenant se dessiner et aux enseignements que nous proposons d’en tirer.
En décembre dernier, le collectif féminin identitaire Némésis a annoncé son intention de participer à la manifestation du 8 mars 2025. Cette annonce marquait la suite logique d’un changement amorcé par le 23 novembre 2024.
Ce jour-là, lors de la mobilisation annuelle organisée par NousToutes contre les violences sexistes et sexuelles, Némésis et le collectif pro-impérialiste Nous Vivrons avaient défilé à une centaine de mètres derrière la fin de la manifestation, étroitement encadrés par des cordons de CRS. C’était la première fois que ces organisations réactionnaires revendiquaient une place à part entière dans une manifestation féministe, traduisant ainsi leur volonté de normalisation ; les années précédentes, elles s’étaient contentées de happenings médiatiques. Le 23 novembre 2024, pris de court, les collectifs présents à la manifestation tardent à réagir ; pour l’ensemble du mouvement féministe, l’événement est vécu comme une provocation insupportable, et son incapacité à les empêcher de défiler, comme un échec collectif.
Après cette première tentative de la part de Némésis et de Nous Vivrons, leur participation au 8 mars 2025 représente un nouveau pas dans leur volonté de légitimation et de normalisation en tant que collectifs « féministes ». Pour autant, personne n’est dupe : l’un de ces collectifs a appelé à voter pour le Rassemblement national aux dernières élections et invite la porte-parole d’Éric Zemmour à défiler dans ses rangs, et l’autre assimile toute prise de position en faveur de la Palestine libre à de l’antisémitisme et au soutien du terrorisme.
Un long processus pour construire une réponse unitaire
Dès janvier, le mouvement féministe parisien se met en action pour planifier la grève féministe et la manifestation du 8 mars. Notre collectif prend part à toutes les discussions du cadre organisateur de la manifestation, Grève féministe, afin d’éviter que les événements du 23 novembre ne se reproduisent. Pour nous, faire face à l’extrême droite exige que le mouvement féministe, dans toute sa diversité, s’unisse et construise des réponses communes. Au-delà de nos divergences, de nos désaccords, des clivages générationnels et de la pluralité de nos sensibilités et héritages politiques, il est essentiel que le mouvement assume ses responsabilités. La situation politique — marquée par la montée fulgurante de l’extrême droite en France et dans le monde — nous y contraint.
Nous ne partons pas de rien. Depuis la percée du Rassemblement national aux élections européennes, la dissolution et les législatives anticipées, la lutte contre l’extrême droite a pris une importance centrale dans les mobilisations féministes.
Au fil des discussions, un consensus émerge : il est hors de question de laisser la rue à des collectifs d’extrême droite ou à ceux qui soutiennent le génocide des Palestinien·nes. Aucune place ne leur sera accordée dans nos manifestations pour y répandre leur propagande. Ce qui anime les réunions pendant plusieurs semaines, ce sont les débats sur les moyens concrets à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif commun.
Le 23 novembre dernier, Nous Vivrons et Némésis avaient imposé leur présence dans la manifestation en arrivant par la fin du cortège : nous faisons donc l’hypothèse qu’une situation similaire va se reproduire, c’est pourquoi nous nous proposons pour fermer la marche. Traditionnellement, ce sont les partis politiques qui défilent à la fin des manifestations féministes ; cette fois, ce sera un collectif féministe, avec son cortège résolument antifasciste et solidaire de la lutte pour la libération de la Palestine.
Au sein du cadre d’organisation de la manifestation, nous poussons, avec le soutien d’autres organisations, pour que la manifestation tout entière s’arrête en cas de présence de l’extrême droite ou des impérialistes, et qu’elle ne reparte pas tant que ces groupes continueront d’imposer leur présence. Au fil des réunions, nos propositions sont progressivement adoptées. Pour la première fois depuis longtemps, par-delà les divisions, le mouvement féministe se coordonne autour d’une stratégie commune.
En parallèle, nous discutons avec des groupes extérieurs au cadre d’organisation de la manif, notamment antifas et écologistes, pour diffuser nos propositions et construire un bloc le plus large possible en queue de cortège. C’est ce bloc qui fera directement face aux réactionnaires et à la police : pour tenir, il devra être solide.
Le mouvement féministe s’empare de la décision d’arrêter la manifestation. Cette tactique est assumée devant la presse par Grève féministe début mars et provoque de nombreuses réactions, notamment celle du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Il critique l’initiative dans un tweet : « Les organisations féministes appelant à empêcher certaines associations de manifester lors de la Journée internationale des droits des femmes (…) font preuve du pire des sectarismes. » La veille, il proclamait son soutien au préfet de police de Paris Laurent Nuñez dans sa tentative d’interdire la marche féministe nocturne du 7 mars.
Le 8 mars : le mouvement féministe repousse l’extrême droite
Le 8 mars, dès 15h, alors que les manifestant·es remplissent la place de la République, Nous Vivrons et Némésis sont en position dans les rues adjacentes à la place et se préparent à tenter d’entrer dans le rassemblement via la rue du Temple. C’est aux côtés des antifascistes, des syndicalistes, des militant·es d’organisations politiques, des autonomes et d’autres collectifs féministes que les Féministes révolutionnaires font bloc. Ensemble, nous formons un barrage humain à l’entrée de la rue du Temple pour empêcher les collectifs réactionnaires, alors protégés par les CRS, d’accéder à la place. Une stratégie payante : Nous Vivrons et Némésis restent confinés respectivement dans la rue Meslay et au square du Temple, sous la protection de la police et de leurs services d’ordre, sans parvenir à s’imposer. À partir de ce moment, et pendant plus de deux heures, les deux groupes seront maintenus immobiles et en marge de la manifestation, alors que l’ensemble des cortèges commencent à s’élancer hors de la place sur le boulevard Voltaire.
Vers 17h, après avoir tenu les réactionnaires hors de la place jusqu’au bout, nous rejoignons lentement le boulevard aux côtés de la Jeune Garde antifasciste et prenons notre place dans la manifestation, avec sur les talons les manœuvres de plus en plus agressives des flics qui nous somment d’avancer. L’avancée est fière, joyeuse malgré les pressions policières qui se font de plus en plus sentir.
Loin derrière nous, les cortèges réactionnaires se mettent en place à République, sous une protection policière étroite. Autour d’eux, les camions d’entretien de la voirie s’activent déjà pour effacer les traces de la manifestation. Depuis le boulevard Voltaire, dès que nous les apercevons se mettre en route, comme prévu, le service d’ordre unitaire arrête la manifestation. La manif annonce qu’elle ne repartira pas tant que Nous Vivrons et Némésis continueront d’imposer leur présence.
Avertissements audio, tracts, échanges préalables avec les nombreuses organisations présentes : tout a été mis en œuvre pour faire de ce moment une occupation politique de l’espace, sans inquiétude et déterminée, faite de slogans et de musique.
Mais ni la musique ni les slogans n’ont l’heur de plaire à ces messieurs de la maréchaussée, et, à 18h, après un long face à face de plus en plus tendu, les CRS lancent la première charge contre notre cortège.
Notre service d’ordre a été renforcé par des camarades d’organisations féministes, antifascistes, syndicales, politiques venu·es d’autres cortèges de la manif, ainsi que par des militant·es autonomes. Ensemble, tandis que la police charge par l’arrière et les côtés, grenade, matraque et gaze, nous tenons la position.
Lorsque arrive le moment où, par décision collective pour la protection de l’ensemble des manifestant·es présent·es, la manifestation reprend son avancée, et que les premiers cortèges arrivent enfin à Nation, l’extrême droite, elle, n’a fait que quelques centaines de mètres, loin derrière.
Tout au long de cette marche, l’extrême droite aura été totalement marginalisée, interdite d’accès à la manifestation, empêchée d’avancer sur le boulevard durant tout l’après-midi. Après des heures d’attente au square du Temple, les racistes de Némésis n’auront même pas marché 500 mètres avant que la préfecture ne les renvoie chez elles.
Une répression sans précédent pour une manifestation du 8 mars
Notre cortège a été visé par une répression policière brutale. Une charge de CRS — tentatives de nasse, grenades de désencerclement, coups de matraque, arrestation de plusieurs militants — sur un cortège féministe, un 8 mars : c’était une première depuis très longtemps. Plus largement, la répression policière s’est acharnée sur les mobilisations féministes tout au long du week-end.
La veille, la préfecture de police avait tenté d’interdire la marche de nuit féministe du 7 mars, organisée par l’Assemblée féministe Paris-Banlieue. Le motif ? La présence de cortèges de solidarité avec la Palestine, qui aurait représenté un risque pour l’ordre public. Cette interdiction a finalement été annulée à la dernière minute par le tribunal administratif. Elle s’inscrit néanmoins dans un contexte de répression continue du mouvement de solidarité avec la Palestine et d’une volonté de fracturer les luttes féministes et anticoloniales. Une tentative d’autant plus frappante que c’est ce même préfet qui avait autorisé une manifestation néonazie quelques mois plus tôt.
Nous dénonçons toutes les tentatives d’intimidation et de division du mouvement féministe et du mouvement de solidarité avec la Palestine. Quoi qu’en dise la préfecture, la Palestine est bien une cause féministe !
Combattre la politique génocidaire du gouvernement israélien, et le soutien de l’État français à cette politique, est pour nous un devoir. La solidarité internationale est l’un des piliers de la date du 8 mars, tout comme la lutte pour l’émancipation sociale et l’égalité des droits. C’est dans cet héritage féministe que nous nous inscrivons lorsque nous crions notre soutien à la lutte du peuple palestinien pour sa libération et sa dignité. L’impérialisme, le racisme et l’antisémitisme n’ont pas leur place dans la lutte féministe.
Notre bilan du 8 mars
La manifestation du 8 mars dans son ensemble était un immense bloc antifasciste. Le mouvement féministe a réussi à se rassembler autour de la lutte contre l’extrême droite et du refus de laisser défiler des organisations réactionnaires et racistes. Grâce à notre unité, ni Nous Vivrons ni Némésis n’ont réussi à s’infiltrer dans le cortège, malgré le soutien et les pressions de la police. S’ils ont marché, c’est loin derrière la manifestation, et ils ont parcouru à peine 500 mètres avant d’être dispersés, contrairement au 23 novembre où ils étaient allés au bout du parcours. C’est une première victoire qui en appelle d’autres.
La riposte féministe du 8 mars n’est qu’un début. Nous, Féministes révolutionnaires, sommes convaincues que le mouvement féministe a un rôle clef à jouer dans la lutte contre l’extrême droite et ses idées. Pour cela, nous devons continuer à défendre un féminisme révolutionnaire antifasciste, anti-impérialiste, anticapitaliste, pro droits des personnes trans, respectueux des droits de travailleur·euses du sexe et radicalement solidaires des peuples opprimés.
Vive la lutte féministe et antifasciste !
Vive la solidarité internationale !
Vive la Palestine !
Tant qu’il le faudra !