Pourquoi on ne veut pas de Nous Vivrons dans nos manifestations féministes

Depuis le 8 mars, des accusations d’antisémitisme pleuvent sur le mouvement féministe. On raconte que des femmes auraient été empêchées de défiler à la manifestation annuelle de lutte pour les droits des femmes et des minorités de genre en raison de leur identité juive.

Les accusations d’antisémitisme sont des accusations graves, que nous prenons au sérieux. L’antisémitisme est implanté dans tous les milieux, y compris dans les nôtres ; encore cette semaine, alors que nous rédigeons ce communiqué, un parti de gauche bien connu a sorti une affiche reprenant tous les codes antisémites. Nous estimons primordial de réexaminer les biais qui pourraient nous conduire à d’éventuelles fautes politiques.

Aucune femme juive n’a été empêchée de manifester le 8 mars en raison de sa judéité. Le mouvement féministe a refusé la présence d’un groupe mixte prétendant parler au nom des femmes juives : Nous Vivrons. Qualifier d’antisémite l’opposition du mouvement féministe à la participation du collectif Nous Vivrons à la manifestation du 8 mars est une accusation mensongère et dangereuse.

Le refus de manifester avec Nous Vivrons ne découle en rien de la judéité de ses membres

Le refus massif de manifester aux côtés de Nous Vivrons ne découle en rien de la judéité de ses militant·es. Il résulte d’un choix politique, motivé d’une part par le soutien inconditionnel de ce collectif à la politique impérialiste de l’État d’Israël, et d’autre part par l’histoire de ses relations avec le mouvement féministe. Au delà de Paris, la présence de Nous Vivrons a été refusée dans plusieurs autres villes le 8 mars, comme à Marseille ou à Bordeaux.

Le soutien au génocide en Palestine

Fondé en octobre 2023, Nous Vivrons se présente comme une organisation de lutte contre l’antisémitisme qui intervient dans le mouvement féministe pour dénoncer les violences faites aux femmes israéliennes lors du 7 octobre. Mais Nous Vivrons accompagne cette ligne d’un soutien inconditionnel à l’État d’Israël et à ses ambitions coloniales. Depuis sa création, Nous Vivrons, par son discours dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans la rue, se place en opposition à toutes les manifestations de solidarité envers le peuple palestinien : c’est le mouvement même en faveur de la Palestine libre qu’il qualifie de soutien au terrorisme. Pour Nous Vivrons, toutes les voix qui dénoncent le génocide et la colonisation sont antisémites, y compris celles portées par des personnes juives. Pour se placer en seul·es représentant·es des voix juives, Nous Vivrons s’est ainsi largement attaquée aux mouvements juifs décoloniaux, tels que Tsedek!.

De son côté, le mouvement féministe est solidaire des femmes et des peuples opprimés du monde entier. Il s’est unanimement prononcé pour condamner les violences commises contre des civil·es le 7 octobre, tout comme il s’est unanimement prononcé pour condamner le génocide en Palestine. Hiérarchiser les vies et les victimes et nier les souffrances du peuple palestinien, c’est piétiner les fondements même de la date du 8 mars : la solidarité internationale, l’égalité, la libération, la paix juste et durable. Rappelons que le 8 mars trouve ses origines dans la lutte des femmes ouvrières, mobilisées contre l’exploitation et les oppressions et pour la justice sociale. Ce que nous reprochons au collectif Nous Vivrons est bien son projet politique, incompatible avec notre féminisme.

Par ses accusations infondées et son comportement violent en manifestation comme lors de ses apparitions médiatiques, Nous Vivrons se positionne comme un opposant au mouvement féministe.

Un collectif hostile au mouvement féministe 

Nous Vivrons n’est pas un collectif féministe.

Depuis sa création, la présence de Nous Vivrons dans les manifestations féministes s’est toujours accompagnée de violences verbales, voire physiques, à l’encontre des autres militant·es. Le 25 novembre 2023, les féministes qui dénoncent le génocide en Palestine sont traitées de « féministes à la Hamas » ou de « complices des terroristes ». Le 8 mars 2024, le service d’ordre de Nous Vivrons, armé de gazeuses et de gants coqués, va même jusqu’à agresser physiquement des militantes pro-palestiniennes, tout en leur criant « Allez vous faire violer par le Hamas ». Depuis le 23 novembre 2024, Nous Vivrons mène d’ailleurs une campagne médiatique honteuse, « #NousToutesSansLesJuives », visant à taxer d’antisémitisme les mouvements féministes qui s’opposent à leurs vues impérialistes.

Le collectif se compromet également avec des alliés antiféministes. Il est proche du Printemps républicain* et du journal Franc-tireur, qui attaquent ouvertement le « wokisme » et le mouvement #MeToo. Il n’a pas de scrupules à s’afficher avec l’extrême droite, comme avec le MEJF et Unité juive pour le rassemblement du 6 octobre 2024. Comme l’extrême droite, Nous Vivrons reste sourd aux violences sexuelles qui ne serviraient pas son propre narratif. Ainsi, il soutient le gouvernement israélien sans un mot pour les violences, notamment sexuelles, que perpétue son armée sur les Palestinien·nes.

*mouvement politique islamophobe et réactionnaire

Ultime provocation, Nous Vivrons a apporté son soutien aux menaces d’Aurore Bergé lorsque cette dernière a menacé de couper les subventions des associations féministes qui ne serait prétendument pas suffisamment fermes dans leur condamnation du Hamas. Cette alliance avec une représentante de la macronie, contre le mouvement féministe, est une attaque supplémentaire traduisant le profond mépris de Nous Vivrons pour nos combats.

Depuis le 8 mars 2025 : la guerre des récits

Depuis le 8 mars, on assiste à une bataille médiatique. Nous Vivrons tente d’imposer son narratif, accusant une nouvelle fois le mouvement féministe d’antisémitisme pour décrédibiliser son soutien massif au peuple palestinien. Il est regrettable que certaines organisations féministes continuent de tomber dans ce piège grossier, en signant des tribunes floues, généralistes, sans sources et sans fondements.

En effet, le 10 mars 2025, après qu’un bloc unitaire féministe et antifasciste a bloqué pendant plusieurs heures le cortège du collectif d’extrême droite Némésis et celui de Nous Vivrons lors de la manifestation du 8 mars, le Mouvement des Guerrières pour la paix a publié sur son compte Instagram une « Lettre à nos sœurs juives », signée par 18 collectifs plus ou moins impliqués dans le milieu féministe, dont la Fondation des femmes et le Planning familial.

Le texte se garde bien de nommer le collectif Nous Vivrons, mais mentionne des « témoignages de personnes juives qui n’ont pu manifester avec le reste du cortège ». Toute attaque antisémite, y compris dans nos manifestations, doit être condamnée avec fermeté. Pour autant, quiconque a suivi les événements du 8 mars et des grandes manifestations féministes précédentes sait pertinemment qu’il s’agit là d’une allusion à Nous Vivrons, et au refus du reste des cortèges de manifester aux côtés d’un collectif qui défend une politique génocidaire.

En assimilant ce refus à de l’antisémitisme, ce texte reprend directement la rhétorique de Nous Vivrons. En entretenant le flou sur les événements et le collectif auxquels il fait référence, ce texte s’assure des soutiens guidés soit par l’ignorance, soit par une complaisance avec des idées nauséabondes. D’ailleurs, à ce jour, seul le Planning familial a semblé prendre conscience du message ambigu porté par le texte, et a publiquement exprimé que sa signature ne valait pas soutien à Nous Vivrons.

Nous n’aurons de cesse de le répéter : si nous ne voulons pas de Nous Vivrons dans nos manifestations, ce n’est évidemment pas en raison de la judéité de ses membres, mais bien parce que leur positionnement politique est opposé au nôtre

Nous condamnons l’antisémitisme comme l’instrumentalisation des luttes féministes à des fins réactionnaires !

Les actes antisémites sont en forte augmentation en France. Dans ce contexte déjà violent, anxiogène pour toute personne juive, les accusations fallacieuses portées à l’égard du mouvement féministe sont graves. Elles contribuent à créer un climat de méfiance, de division et de peur. Elles segmentent et éloignent la lutte féministe et la lutte contre l’antisémitisme, alors que ces combats sont imbriqués et doivent pouvoir se mener conjointement.

L’antisémitisme n’a rien à faire dans nos luttes. De même l’islamophobie, les positions coloniales et impérialistes, la justification de politiques d’extrême droite et le soutien à un génocide n’ont pas leur place dans nos manifestations. Nous ne marcherons pas aux côtés de celles et ceux qui portent ces idées.

La « Lettre à nos sœurs juives » est une énième tentative pour opposer lutte antiraciste, anticoloniale, anti-impérialiste et lutte contre l’antisémitisme, et cette fois d’une manière qui relève de la désinformation et de la diffamation. En présentant ce qu’il s’est passé comme « l’exclusion de femmes juives de la manifestation du 8 mars », le texte décontextualise et dépolitise entièrement la situation, et la présente sous des termes faussement identitaires pour jouer sur la confusion et l’ignorance des observateur·ices extérieur·es. Nous Vivrons n’a pas été exclu parce que c’est un collectif juif, mais parce que c’est un collectif suprémaciste qui soutient le projet colonial et génocidaire mené par Israël. Une telle méthode de désinformation n’est pas digne d’organisations qui se proclament féministes. Une telle complaisance avec les soutiens d’un génocide non plus.

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