Pas de PMA pour toutes sans filiation pour toutes !

Le 4 mars dernier, le ministre en charge des relations avec le Parlement a annoncé un nouveau report de l’examen du projet de loi bioéthique au parlement, désormais prévu “dans un délai de 12 mois” au lieu de courant juin comme annoncé à l’automne 2018 ou encore de “début 2019”  1 sous prétexte d’un embouteillage parlementaire. Depuis les premières promesses d’ouverture de la PMA à toutes les femmes pendant la campagne Hollande en 2012, le message est devenu clair : les droits des femmes, et en particulier ceux des lesbiennes et bies, passeront toujours en dernier. Encore une fois, on met en avant l’argument de “laisser le temps au débat“. Mais voilà déjà 7 ans que nos vies sont un sujet de débat public constant !

Un mauvais débat : la PMA n’est ni un problème d’infertilité pathologique, ni un problème de bioéthique 

Depuis les premières lois sur la bioéthique de 1994, la loi française réserve l’accès aux techniques de procréation médicalement assistée (PMA) exclusivement aux couples cishétéros 2. Ainsi à l’heure actuelle, les femmes célibataires ou en couple avec une autre femme souhaitant avoir recours à une insémination artificielle sont contraintes de se rendre à l’étranger, moyennant des frais médicaux et de transports se chiffrant en milliers d’euros. Les destinations les plus prisées par les Françaises sont l’Espagne, la Belgique et les Pays-Bas, principalement pour leur proximité géographique
Cette discrimination légale est justifiée par une vision pathologisante de l’infertilité et la PMA est considérée comme un traitement plutôt que comme un ensemble de techniques permettant de procréer sans coït. Or, cette vision est en décalage avec la réalité : de nombreux couples cishétéros ont accès à ces techniques sans que l’origine pathologique de leur infertilité ne soit avérée. 
La PMA n’est déjà plus uniquement une réponse médicale à un problème pathologique. Derrière ce mythe, il s’agit en fait de préserver le modèle pseudo-procréatif de la filiation. L’anthropologue Agnès Fine décrit ainsi notre système de filiation : il repose sur la vraisemblance du coït entre un homme cis et une femme cis3. Par exemple, seuls les couples cishétéros « en âge de procréer » ont accès à la PMA. Ensuite, ils utilisent les mêmes modes d’établissement de la filiation que si l’enfant était issu d’un coït. L’enjeu est de pouvoir faire comme si c’était le cas. Les technologies biomédicales sont donc acceptables seulement à condition qu’elles préservent un cadre familial cishétérosexuel supposé naturel. Et les dérogations à ce cadre sont sanctionnées : les inséminations “maison” sont illégales4 et les femmes qui ont recours à la PMA à l’étranger se heurtent à de nombreux obstacles administratifs et juridiques.
Pourtant la PMA pour toutes n’est pas vraiment un enjeu de bioéthique puisque les techniques elles-mêmes sont déjà validées et largement acceptées. En regroupant la loi sur la PMA sous une loi “bioéthique” avec des sujets aussi divers que l’assistance à la fin de vie, le don d’organe, l’utilisation des données génétiques ou encore la recherche sur les cellules souches, le gouvernement déplace la problématiques des droits des femmes vers les “droits du vivant”, alignant les termes du débat sur ceux posés par la Manif pour tous” et diverses organisations réactionnaires depuis des années. La lourdeur d’une telle révision des textes est également prétexte à d’énièmes reports, alors que le calendrier parlementaire ne semble jamais encombré lorsqu’il s’agit de voter des lois toujours plus répressives contre les mouvements sociaux, les droits des travailleur·se·s et des migrant·e·s.

 

Laissez nos corps, nos vies et nos enfants tranquilles ! 

Le centrage des débats sur des aspects “bioéthiques” tend à invisibiliser voire à nier la réalité des familles homoparentales qui existent déjà bel et bien. En effet, d’après une enquête de l’INED datant de 2011, 200 000 personnes sont en couple homosexuel et, parmi elles, 10% résident avec au moins un enfant 5 – bien qu’il soit difficile de mesurer cela 6. Ces enfants qui sont déjà là font face à des problèmes liés à l’établissement de la filiation. Certaines mères doivent passer par un parcours de combattante pour être reconnues comme telles… (vous pouvez lire des témoignages ici  https://www.komitid.fr/2019/01/08/on-se-bat-contre-un-mur-linterminable-combat-des-meres-sociales-pour-etre-reconnues/ ou là https://www.komitid.fr/2019/03/12/ne-restons-pas-sur-le-carreau-comment-des-meres-sociales-bravent-la-justice-pour-etre-reconnues/)
De plus, l’idée que des femmes puissent concevoir et élever des enfants sans homme est source d’une panique morale dans le camp conservateur, qui profite du débat sur la PMA pour diffuser ses discours misogynes et lesbophobes sur toutes les plateformes possibles. Or, la question ne doit pas être “doit-on autoriser deux femmes ou une femme seule à faire un enfant ?” alors que des milliers de femmes n’ont pas attendu cette autorisation pour fonder une famille. 
Au moment où l’éventualité d’une ouverture prochaine de la PMA aux couples de femmes et femmes célibataires se précise, on assiste aussi à une remise en question de l’anonymat des donneurs. 
Cette volonté de redonner de l’importance au donneur de sperme, en entretenant une confusion entre père et géniteur, n’est pas anodine. Dans ce contexte, elle signifie replacer les femmes dans un cadre hétérosexuel, au minimum symboliquement. Seule ou en couple, nous voulons choisir quand et comment avoir un enfant, ou ne pas en avoir, y compris en dehors de l’hétérosexualité. 
On peut néanmoins espérer (osons !) que l‘ouverture de la PMA à toutes les femmes, sans cesse promise et repoussée à plus tard depuis 2012, sera mise en place à moyen terme (l’année prochaine ?). Mais dans quelles conditions ?  Quid du remboursement par la sécurité sociale ? Quel statut pour la mère qui n’a pas accouché ? Si elle n’est pas accompagnée d’une véritable réforme de la filiation, une mesure de principe sur l’accès à la PMA ne répondra pas aux problématiques réelles des familles existantes et à venir. 

La PMA pour toutes c’est bien, la filiation pour toutes c’est mieux !

La loi Taubira de 2013 a ouvert la possibilité de se marier aux couples de femmes, mais reste incomplète en ce qui concerne la filiation : par exemple la présomption de parenté ne s’applique pas aux couples de femmes mariées. La mère qui n’a pas porté l’enfant ne peut pas non plus effectuer de reconnaissance en mairie à la naissance ou chez un notaire avant la naissance. Pour être légalement reconnue comme mère elle doit alors engager des démarches d’adoption, longues, qui nécessitent l’accord d’un·e juge et dont l’issue est incertaine. Autrement dit, de nombreux parents sont contraints de se marier et “d’adopter leur propre enfant”. C’est l’ironie de la loi Taubira : elle « ouvrait » le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, mais dans les faits elle les oblige au mariage et à l’adoption de leur propre enfant puisqu’elle n’a ouvert aucune autre possibilité de reconnaissance juridique. 
Dans le cas de couples non mariés ou séparés, l’adoption d’un enfant mineur est tout simplement impossible. La “mère sociale” qui n’a pas de statut juridique n’a alors aucun droit, et ses enfants risquent d’en être séparés en cas de rupture ou de décès de la “mère légale”. Pourtant dans la même situation, un homme pourrait reconnaître l’enfant sans devoir prouver sa paternité au préalable.
Il est donc essentiel et urgent d’en finir avec le modèle “une mère, un père” et d’adapter l’état civil à la diversité des familles, afin de garantir les mêmes droits, les mêmes protections juridiques et le même accès à la justice pour toutes.

 

Sources :
    2 – Loi n°94-654 du 29 juillet 1994, article L. 152 relatif à l’assistance médicale à la procréation
    4 – Article L1244-3 code de la santé publique 

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