Retraites : Quand la RATP instrumentalise la lutte contre les LGBTI-phobies pour casser la grève

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Le 10 décembre, alors que la mobilisation contre la réforme sur les retraites commence fort à la RATP, les grévistes du dépôt de bus de Vitry-Sur-Seine organisent un piquet de grève sur leur lieu de travail. Comme sur les autres dépôts, l’idée est d’empêcher le maximum de bus de sortir et de circuler afin de paralyser les transports parisiens. Quelques véhicules parviennent tout de même à quitter le dépôt. Trois travailleurs en lutte sont filmés alors qu’ils sont en train de crier à un de leur collègue non gréviste des insultes homophobes. La vidéo fait rapidement le tour des réseaux sociaux, et la RATP réagit très vite en condamnant publiquement leurs agissements. Les trois grévistes sont convoqués le 13 janvier pour un entretien préalable à sanction. Ils sont à présent en procédure disciplinaire et risquent de perdre leur emploi. Le chauffeur de bus ciblé par les insultes a porté plainte pour injure homophobe, de même que plusieurs associations LGBTI.


Ces événements ont ouvert un débat dans le mouvement social et dans le milieu militant LGBTI : comment réagir face à ce dépôt de plainte et aux futures sanctions possible ? Faut-il les soutenir ? Faut-il les combattre, mais alors au prix de laisser la place à l’homophobie ? Un tel débat est salutaire et nécessaire, parce qu’il reste habituellement confiné à des milieux militants très restreints alors qu’il est l’affaire de l’ensemble des exploité·e·s et des opprimé·e·s. 

La lutte contre les LGBTI-phobies, une vraie préoccupation de la RATP et du gouvernement ? 

La RATP a-t-elle pour habitude de sanctionner les comportements homophobes de ses agents ? Pas si sûr ! En principe, les patrons se doivent de garantir la sécurité et la sérénité de tou·te·s les employé·e·s. C’est inscrit dans le code du travail. 


Mais à la RATP, c’est l’association Homobus, réunissant des travailleur·se·s LGBTI de l’entreprise, qui s’occupe « d’accompagner et conseiller des agents LGBTI, victimes de discriminations« , comme elle l’explique sur son blog. Le fonctionnement de l’association est séparé de l’entreprise, ce qui garantit son indépendance, mais signifie aussi que l’investissement de l’entreprise – en particulier financier – y est quasi-inexistant. Il faut le dire, c’est bien pratique d’avoir des salarié·e·s qui s’occupent des problèmes internes de l’entreprise (homophobie ou autre) en dehors de leur temps de travail, donc gratuitement !

Comme dans les autres entreprises, les LGBTI-phobies existent, qu’elles viennent de collègues ou de la hiérarchie, et les patrons s’en lavent les mains. Mais quand un conflit social très dur oppose les travailleur·se·s et leur direction, comme celui actuellement en cours à la RATP, alors soudain les comportements homophobes deviennent une occasion en or de miner la grève et réprimer les syndicalistes.


Nous constatons avec intérêt que lorsque l’homophobie est le fait de grévistes qui luttent contre leur direction et contre leur gouvernement, aussi bien les patrons que les personnalités politiques volent au secours des personnes LGBTI stigmatisées. Cette fausse indignation n’est qu’une façon supplémentaire de criminaliser les grévistes en prétendant défendre les populations LGBTI. Nous la refusons. Ce gouvernement qui crache sur nos luttes et sur nos droits, qui nous réprime dans la grève et dans les manifestations, ne pond pas que des lois d’austérité ou répressives : ils prend aussi des mesures LGBTI-phobes concrètes.


Les discussions en cours autour de l’ouverture de la PMA au couples de lesbiennes laissent présager que les procédures seront payantes, car non remboursées par la sécurité sociale, alors qu’elles sont gratuites pour les couples hétéros. L’État mutile toujours les enfants intersexes, force toujours les personnes trans à passer par des procédures longues, humiliantes et coûteuses. Il expulse les personnes queer migrantes vers des pays où elles risquent leur vie, abandonne les malades du SIDA, brosse la Manif pour Tous dans le sens du poil : cet État n’a pas le droit de prétendre être de notre côté pour mieux réprimer des grévistes. Chaque attaque antisociale du gouvernement est une attaque contre nos droits. 

En face, la réaction tiède de la direction de la CGT, qui met carrément le sujet de l’homophobie sous le tapis pour défendre ses militants en qualifiant la plainte de SOS homophobie « d’accusations injustifiées », est à l’image du manque de prise en compte des questions LGBTI dans les syndicats.

Contre les divisions, unifier notre camp social

Dans la lutte contre la réforme des retraites – comme dans les autres luttes sociales –, toutes les composantes de la classe ouvrière sont dans la rue. Les travailleur·se·s LGBTI sont l’un des visages de cette classe protéiforme. Il n’y a pas d’un côté les grévistes et de l’autre côté des militant·e·s féministes et LBGTI. Il ne s’agit pas de construire des ponts entre des mobilisations éparses, mais bien d’envisager toutes les luttes, qu’elles soient ouvrières, antiracistes, LGBTI, féministes… comme orientées vers un seul objectif : dégager le gouvernement, ses réformes, et le tout le système qui va avec !


À l’heure actuelle, cette unité semble, à bien des égards, ne pas être comprise par tout le monde. Le comportement des grévistes de Vitry en témoigne.Oui, l’homophobie existe au sein du mouvement ouvrier, qui n’est pas séparé du reste de la société. Pour autant, c’est au mouvement lui-même de résoudre ses propres travers. Ne nous méprenons pas : l’institution de la Justice, qui a été interpellée par diverses associations LGBT (dont le syndicat policier FLAG, qu’on n’entend pourtant pas beaucoup lorsque les queers manifestant·e·s sont victimes de violences policières…), sert globalement des intérêts contraires aux nôtres[1]. Elle est, malgré les quelques avancées en termes de droits LGBTI, du côté de la répression, de la conservation d’une société capitaliste et patriarcale, forcément hétéronormée.  En réprimant des grévistes pour insultes homophobes, elle ne fait ni avancer la lutte contre la réforme des retraites, ni avancer nos luttes LGBTI. Le résultat est surtout de nous isoler et de nous diviser, en traitant l’homophobie comme un délit au niveau individuel, plutôt que comme un problème systémique.


Les travailleur·se·s, chômeur·se·s, étudiant·e·s, (futur·e·s) retraité·e·s touché·e·s de plein fouet par la destruction des droits sociaux et des services publics, c’est nous. Les queer vénères dans la rue, c’est nous. Les grévistes de la RATP sur les blocages, c’est nous : en tant qu’individus exploité·e·s, mais aussi en tant que groupe social opprimé.Alors parce que nous, personnes LGBTI, faisons partie intégrante du mouvement social, c’est au mouvement social lui-même, et non pas au gouvernement ou aux patrons contre lesquels nous luttons, de prendre en charge la question de l’homophobie en son sein. Le virilisme qui règne dans les AG, qui prend des décisions à coup de qui parlera le plus fort et de qui sera le plus apte à s’imposer, ou qui règne dans la rue à coup de qui tiendra le mieux individuellement face à la violence des flics, doit être remis en question par les AG elles-mêmes, en autogestion, sans s’en remettre à l’autorité de l’État ou des patrons.


Notre choix politique doit être, dès que possible, de privilégier une politique de conviction, et non de punition, n’en déplaisent aux partisans du tout répressif. Rien dans nos luttes ne justifie le recours aux insultes oppressives, qu’elles soient homophobes, transphobes, racistes, sexistes. Ni envers nos collègues, ni envers personne ! Notre attitude doit être précisément l’inverse : en permanence, garder un dialogue ouvert avec les non-grévistes, continuer le travail de conviction pour qu’elles et ils rejoignent nos rangs. Les insultes et comportements homophobes continueront de fuser partout où les travailleur/ses ne seront pas convaincu·e·s dans leur chair que les trans, les bi·e·s, les gouines et les pédales sont des sœurs et des frères de lutte et qu’il faut soutenir la lutte pour leur émancipation.


Cette politique peut paraître ambitieuse, mais elle donne des résultats. C’est en défendant ces perspectives lors de la bataille du rail au printemps 2018 que nous nous sommes rendu·e·s plusieurs fois par semaine sur le piquet de grève des cheminot·e·s du Landy, à Saint-Denis. Nous avons travaillé tout au long du mouvement à construire des liens avec des travailleur·euse·s en lutte contre la casse de leurs droits, justement parce que pour nous la lutte contre la privatisation et la détérioration des services publics est une lutte féministe.
Nous avons, entre autres, organisé avec elles et eux une discussion sur la condition et les luttes LGBTI dans leur local syndical ainsi qu’une fête de soutien à leur grève ainsi qu’aux migrant·e·s de la fac de Paris 8. Résultats des courses : nous étions accompagné·e·s à la Marche des Fiertés 2018 par des grévistes du Landy. Cet événement est l’incarnation même de notre vision de la convergence des luttes.


La mobilisation actuelle contre la réforme des retraites doit elle aussi être le terrain de telles expériences, non seulement pour construire des liens de solidarité, mais plus encore pour participer à unifier notre classe sociale. Par là, nous ne disons certainement pas qu’il faut en finir avec nos luttes spécifiques, mais bien au contraire, que nos luttes spécifiques sont celles de notre classe sociale. Le néolibéralisme éclate nos lieux de travail, crée une multitude de statuts de travail, s’appuie sur la division raciale et sexiste du travail pour maximiser ses profits, et répand partout une idéologie méritocrate, patriarcale et raciste. Un des résultats de cette politique est que nos résistances sont affaiblies. 


C’est pourquoi nous appelons chaque AG de grévistes, chaque piquet de grève, chaque blocage de dépôt, à se charger de ces questions, pour éradiquer les oppressions internes au mouvement social, telles l’homophobie, le racisme, le sexisme. Poursuivons la lutte tou·te·s ensemble face à Macron et les patrons !


[1] : Pour une réflexion plus développée sur le recours à la justice et le rôle de la justice, voir notre article : https://feministesrevolutionnaires.org/?p=1346

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