Depuis les annonces de Macron le 14 octobre, 9 villes et leurs agglomérations sont concernées par un couvre-feu, y compris toute l’Ile-de-France. Cela représente un peu plus de 19 millions de personnes en France, soit une personne sur trois à l’échelle du pays.Le principe est simple : de 21h à 6h, la population doit rester à la maison, pour limiter la propagation du virus.Des dérogations peuvent être accordées pour les mêmes motifs que ceux valables pendant le confinement au printemps, à l’exception de la simple promenade.
Le couvre-feu : une mesure à l’efficacité contestable
Cette mesure s’inscrit dans la droite lignée du discours gouvernemental depuis la sortie du confinement. Cet été, c’étaient les jeunes qui étaient responsables des nouveaux cas de contamination à cause des fêtes et des soirées. Aujourd’hui, c’est dans les bars, restaurants, réunions de familles, que l’on se transmettrait le Covid19.
Macron justifie sa décision d’imposer un couvre-feu par la nécessité de « réduire les moments de convivialité privés » qui seraient « des vecteurs d’accélération du virus ». Or, les données manquent pour valider cette affirmation puisque, dans les trois quarts des cas, l’assurance maladie ne peut pas remonter les chaînes de contamination. Comment savoir, dès lors, si les espaces de convivialité sont réellement le lieu privilégié des contaminations ?
Dans le même temps, les universités, les écoles et les entreprises. restent ouvertes alors qu’elles constituent la majorité des clusters découverts. Dans les lieux d’enseignement, le manque de personnel et de moyens matériels ne permet pas le respect des mesures de distanciation pendant les cours. Aucune mesure coercitive n’a été prise pour obliger les entreprises à réorganiser les conditions de travail pour limiter au maximum les contaminations, notamment en mettant en place le télétravail autant que possible.
Le gouvernement se décharge de toute responsabilité en criminalisant celles et ceux qui sortent le weekend ou après le travail, alors que l’on anticipe depuis des mois qu’une nouvelle vague de contamination arriverait probablement à la rentrée. Là où il aurait fallu se préparer et organiser les mesures nécessaires en terme de prévention, de dépistage et de prise en charge médicale, Macron préfère instaurer un couvre-feu. Lors de son allocution pour présenter cette nouvelle mesure, il s’est posé en petit père de la nation, chargé de « responsabiliser » le peuple français. Autant nous dire directement « c’est de votre faute » !
Mesure sanitaire ou mesure autoritaire ?
L’isolement social du confinement au printemps, associé au chômage et aux difficultés financières, avait déjà eu des effets négatifs sur notre santé mentale ( hausse du stress, de l’anxiété, troubles du sommeil, TCA, difficulté à gérer les addictions, etc.). La nouvelle mesure de couvre-feu reproduit – certes à moindre échelle – l’isolement social et ses conséquences néfastes, en particulier pour les femmes et personnes LGBTI exposées à des violences domestiques.
Le terme de couvre-feu évoque en lui même un temps de guerre, ce qui accentue encore plus la panique collective. C’est une mesure restrictive, qui limite nos déplacements dans un cadre déterminé, mais aussi coercitive, car la force peut être employée pour la faire respecter. Parce qu’elle ne concerne que le temps « libre », qui s’étend au delà de la journée de travail, elle est interprétée à raison comme une suppression pure et simple du temps social. « On ne sortira de cette crise qu’en travaillant plus », affirme l’Élysée. Le reste, tout ce qui ne fait pas de l’argent, c’est pour plus tard.
Rien d’étonnant, donc, à ce que cette mesure soit plus impopulaire que le premier confinement au printemps. Les déploiements massifs d’officiers de police sur l’ensemble du territoire pour sanctionner les infractions au couvre-feu semblent indiquer qu’il s’agit plus d’une mesure sécuritaire que sanitaire, en dépit des affirmations du gouvernement. À n’en pas douter, ce contrôle policier touchera encore de plein fouet les populations les plus pauvres et marginalisées, et les personnes racisées.
Mais même au vu de tous ces éléments, la question reste entière : pourrait-on se passer du couvre-feu ?Ce qui est certain, ce que la gestion de l’épidémie du Covid-19 par le gouvernement a été désastreuse. Et la gestion de la crise économique qui vient ne s’annonce pas meilleure.
Virer les pauvres pour donner aux riches
Le gouvernement ne cesse de le répéter : le confinement a eu un lourd impact sur l’économie, et il faut de toute urgence la sauver. Une crise économique se profile à l’horizon, c’est pourquoi Macron a financé un plan de relance à hauteur de 100 milliard d’euros. Le principe ? Alléger la fiscalité des entreprises pour leur permettre de rebondir et d’embaucher. Sur le papier, c’est sympa, mais dans la vraie vie ça ne marche pas.Les plans de licenciements se multiplient depuis le printemps. La DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques), dans son rapport du 29 septembre sur le marché du travail durant la crise sanitaire, en a enregistré plus de 450 depuis le début du confinement, ce qui correspond à plus de 65 000 emplois, trois fois plus qu’en temps normal. Et les patrons redoublent d’imagination sur la façon d’annoncer la bonne nouvelle à leurs employé.es : dans une vidéo de 3 minutes diffusé en mai par visio-conférence, Uber annonçait par la suppression de 3 500 postes. Les exemples dans cette veine ne manquent pas, et la stratégie de l’État apparaît clairement : licencier les pauvres pour faire des cadeaux fiscaux aux riches !
L’idée d’augmenter de façon durable les revenus les plus modestes étant insupportable pour le gouvernement, Macron a annoncé une prime exceptionnelle de 150 euros pour les allocataires du RSA et des APL. Cela ressemble fort à une mauvaise blague pour celles et ceux qui vont se retrouver privé.es d’emploi, sans parler des étudiant.es dans la galère ou des jeunes entre 18 et 25 ans qui n’ont pas le droit au RSA.
Mais il y en a d’autre qui ne souffrent pas de la situation. Dans Le Monde du 16 octobre, la députée socialiste Christine Pirès Beaune déclarait « Il semble un peu anormal qu’en situation exceptionnelle, on ne demande pas aux 0,1% [des plus riches] un effort exceptionnel ». Taxer les riches ? Hors de question pour un gouvernement qui a déjà supprimé l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune, initialement créé pour financer le RMI) en 2018. Lors de son passage à la télévision, Macron appelait pourtant à « être une nation de citoyens solidaires »… Solidarité à sens unique, cela va sans dire.
Lutter pour une autre gestion de la crise
Au cœur de l’épidémie et à l’aube d’une nouvelle crise économique, la question de la gestion des fonds de l’État apparait clairement. Malgré les difficultés de la période, il ne faut surtout pas renoncer à la lutte politique ! Nous serons au cœur des mouvements qui réclamerons les mesures qui s’imposent :
Plutôt que de financer le déploiement de 12 000 policiers, il faut investir massivement dans le système de santé public : prévention, dépistage, soin. Il faut satisfaire aux exigences des soignant.es en ce qui concerne l’hôpital, à savoir l’embauche de 120 000 personnels et la réouverture massive de lits. Plutôt que de faire passer les soignant.e.s pour des « héros » corvéables à merci, dont la vie physique et psychique compte si peu qu’elle est exposée depuis des mois à des conditions de travail désastreuses et mortelles, c’est toute la division de travail et le système de soins qui doivent être repensés. Les licenciements doivent être immédiatement interdits. Revaloriser l’ensemble des revenus – à commencer par les minima sociaux – notamment en taxant les riches est également prioritaire pour atténuer autant que possible les effets de la crise économique. L’accès aux tests, aux masques, au gel doit être gratuit.Enfin, il faut en finir avec la production à flux tendu pour le matériel médical, mais aussi toutes les marchandises de première nécessité. Relocaliser la production de masques chirurgicaux et de gel hydro-alcoolique ainsi que se constituer des stocks, permettra de gérer de façon plus efficace d’éventuelles nouvelles vagues ou épidémies dans le futur.